Parler de ce conflit amène à ne recevoir que des coups de part et d‘autre… Pourtant, il va bien falloir aller plus loin si on veut un jour que ces massacres s’arrêtent.
Un mot d’abord personnel. Né en Égypte d’une famille juive bien implantée, cultivé dans une atmosphère cosmopolite avec les 3 religions monothéistes -, juive, catholique (collège des frères de St Jean baptiste de La salle) et musulmane dans une atmosphère de tolérance, et aucun signe d’antisémitisme. Bombardé pendant la guerre du Sinaï en 1956, puis renvoyé d’Égypte et les avoirs de mon père confisqués suivi d’une émigration forcée en Israël et la mort de mon père qui n’a pas supporté de partir. En Israël, je fus élevé avec la ferme conviction que nous avions la force et le droit pour nous. Après un long service militaire et l’es études universitaires, je du participer à la guerre des 6 jours ! J’ai été amené à migrer en France il y a 50 ans, Français et Israélien de culture avec une histoire plus proche d’Israël que de l’Égypte.
Le problème Israélo-palestinien n’entre pas dans les cases habituelles de l’histoire, les surprises viennent de là ou ne s’y attend pas. J’aimais beaucoup la Sarajevo de Tito où les communautés vivaient en harmonie avec des mariages inter-ethniques -catholiques/musulmans ou Orthodoxes /musulmans. Sur des arbres on voyait des annonces de mort avec côte à côte des faucilles et des marteaux, des croissants et des croix orthodoxes. Quand la guerre a débuté avec les Karadzic, Milosevic et autres criminels de guerre, j’y suis retourné pour apporter des médicaments à la population bosniaque (avec le seul transport aérien possible-les avions militaires Français). J’ai trouvé une ville détruite avec tout ce que cela implique et des serbes devenus fous et tirant des toits et des collines environnantes sur les passantes et les maisons. L’armée me suggère d’aller à Dobysna -enclave musulmane entourée de serbes fanatiques- tout y est détruit, les enseignants passent dans des tranchées pour aller enseigner aux élèves dans des caves. Un seul chirurgien -Youssouf Hadjir – qui ampute dans une cave de supermarché souvent sans anesthésiant. On commence à discuter, d’abord en Anglais (mon Anglais était meilleur que le sien) puis en arabe (son arabe était meilleur que le mien). Il s’avère qu’il est né à Nesher -village proche de Haïfa- La Haganah (l’armée juive de 1948) a tué son père et sa famille a dû remigrer à Damas d’où il est parti plus tard pour aller à la faculté de Médecine de Sarajevo. Moi, j’ai fait le chemin inverse, renvoyé du Caire par Nasser et mon père de désespoir peu après de pour me retrouver à Haïfa ! Nous avons fait le même chemin mais dans des directions opposées. Il a éclaté de rire et me dit, tu devrais demander des compensations de l’Égypte, je lui réplique qu’il pourrait commencer avec Israël. Cette histoire improbable illustre la complexité du problème et la disparition un peu partout des communautés multiethniques vivant en bonne intelligence ; L’époque se prête mal à la paix.
Examinons avec un peu de recul l’épisode épouvantable actuel
L’antisionisme n’est pas de l’antisémitisme: Le sionisme « un peuple sans terre pour une terre sans peuple » est une thèse fausse dès le départ. Certes, les juifs ont le droit d’avoir une terre en Palestine, l’histoire l’atteste de façon incontestable, mais pas sur toute cette terre car avant y vivait aussi un autre peuple qui n’est responsable ni de la Shoah ni des pogromes. Le grand Yechahyahou Leibovitz – Grand Prix d’Israël, religieux, philosophe talmudiste mais aussi professeur de chimie et autres sciences le disait dès 1967, « un peuple qui occupe la terre d’un autre est condamné à perdre sa démocratie et son futur ». Les agissements de Netanyahou et des enturbannés messianiques juifs (comme les extrémistes du Hamas) doivent être condamnés. Doit -on accepter tout d’un peuple parce que Juif ? Les règles de l’histoire et les grandes lois universelles qui définissent les crimes de guerre s’arrêtent elles à Jérusalem ? est-ce acceptable de cautionner une politique qui consiste à renvoyer le maximum de Palestiniens afin de réaliser le vieux rêve de Bégin et Jabotinsky- « un seul pays juif des rives du Jourdain jusqu’à la mer Méditerranée ». Exclure la réalité d’un peuple Palestinien c’est aussi exclure toute possibilité de dialogue à terme. Donc, oui on a le droit de critiquer la politique des gouvernements Israéliens sans être suspects d’antisémitisme.
La colonisation a éliminé toute possibilité de deux états– Il y a 15 ans, j’avais publié dans le journal Libération un plan de paix -co-signé par Edgar Morin et Véronique Nahum- Grappe – se basant sur la Bosnie. https://leblogdebenari.com/2003/09/29/proche-orient-la-paix-est-dans-la-rupture/. Afin de séparer Serbes, Croates et Bosniaques qui avaient été pris dans la folie des Karadzic et Milosevic et suite au massacre de Srebrenica, après une brève intervention militaire, un gouvernorat piloté par les Nations Unies a été mis en place ayant comme but de stopper les combats et reconstruire le pays. Cela avait en effet stoppé la guerre, sans vraiment résoudre les problèmes mais c’est déjà ça. La logique fut de séparer les uns des autres afin « qu’ils s’oublient ». Appliqué à Israël, l’idée était de construire un mur de séparation sur la frontière de la guerre des 6 jours -la ligne verte- et aider à la reconstruction de la Palestine. Deux ans de séparation complète devraient amener ces deux peuples à s’oublier, un peu comme dans un divorce difficile. Avec le temps, il y aurait peut-être eu la possibilité de travailler en commun et établir des ponts entre juifs et arabes et un pont entre l’orient et l’occident. Cependant, quand ce plan a été écrit, il y avait en Cisjordanie 20-30000 colons, aujourd’hui il y en a plus de 700000! La réalité n’est plus la même. Les grandes déclarations avec la main sur le cœur des politiques de Biden à Macron sonnent faux ; la solution à deux états d’Oslo est devenue impossible, elle a 30 ans de retard. Les Colons Israéliens fanatiques et messianiques et les gouvernements Israéliens successifs l’ont renvoyé aux calandres grecques. Les colons occupent les meilleures terres, prennent toute l’eau et humilient quand ils ne tuent pas les paysans Palestiniens avec la protection de l’armée. La solution à 2 états est morte, cela m’avait déjà été explicité il y a 2 décennies par Elias Sanbar (représentant l’OLP aux discussions de Madrid) simplement car « Israël ne cédera jamais les terres occupées et ne renoncera pas à son rêve d’occuper toute la Palestine ». On s’achemine par conséquent quel que soit le souhait des gouvernements d’Israël vers un état binational, ces gouvernements ont tout fait pour, ce qu’au demeurant Rabin avait déjà signalé pour expliquer pourquoi une solution à deux états est la seule solution.
Le Hamas– les actes du 7 octobre sont reconnus par la loi internationale comme des crimes de guerre car ciblant une population parce que juive. Ils sont indéfendables et injustifiables quelle que soit la morale retenue. Ajouter ou non le qualificatif de terroriste n’ajoute rien à la chose, car cela élude la bonne question sous-jacente : devons-nous tenir compte du contexte de la colonisation et les souffrances des habitants de Gaza vivant depuis des décennies dans une grande cage ou pas. le Hamas a une philosophie mortifère, celle des frères musulmans mais en même temps, à tort ou à raison, le Hamas est soutenu par les citoyens de GAZA et représente une composante de la résistance au colonisateur Israélien et quand il s’agira de discuter la paix, il sera représenté forcément. Les résistants Français contre les nazis, antifranquistes ou anti Pinochet etc. ont tous été qualifiés de terroristes. Loin de moi de faire une comparaison et justifier voire comprendre la tuerie indiscriminée d’enfants, bébés et vieillards car les situations sont différentes. Mais il faut rappeler encore et encore qu’il n’y a aucun rapport entre Daech qui veut établir un califat mondial et le Hamas qui n’agit qu’en Israël. Donc au-delà de l’émotion, il faut regarder plus loin et comprendre en quoi le Hamas est dangereux et pourquoi il faut lutter contre lui.
Le Bombardement de Gaza et son siège complet– est un crime de guerre d’après les représentants des ONGs, des structures internationales, des Reporters sans frontières, de l’Unicef etc. quand les bombes vont s’arrêter les dizaines de milliers de morts, d’enfants et de femmes et de vieillards seront évidents. Croit-on vraiment pourvoir détruire le Hamas sans détruire la ville la plus dense au monde ? Assiéger et affamer une population de deux millions d’habitants est un crime de guerre. Bombarder un bâtiment de 7 étages et tuer les enfants, bébés, vieillards qui y vivent n’est pas moins horrible que les massacres du Hamas. En quoi cela diffère de Poutine et de ses massacres en Ukraine ? Accepter qu’aucun pays ne peut faire ce type d’attaque sauf Israël est pour moi à la fois aberrant et raciste, cela vaudrait dire qu’Israël est le seul état qui peut ne pas tenir compte des condamnations de la communauté internationale car c’est le peuple des Juifs ? et cela va s’arrêter où ? Si Israël demain est en danger et lance une bombe atomique sur un pays voisin, va ton lui pardonner car c’est un état Juif ? Quand le président Herzog – un modéré par rapport à Netanyahou -décrète « qu’il n’y a pas de civils – citoyens à Gaza » est-ce à dire que tout le monde est Hamas et que donc tuer des bébés devient acceptable ? Malheureusement pour Israël, il faut attaquer dans les plus mauvaises conditions étant donné la densité de population à Gaza, mais n’y a -t-il pas un peu de responsabilité d’Israël d’avoir refusé tout compromis depuis la mort de Rabin. Cette guerre annonce de surcroit des guerres à venir nombreuses, car le gamin qui voit ses parents humiliés et tués par les forces Israéliennes, prendra la relève.
Ces plans ne vont pas permettre à Israël de vivre en paix. Les gouvernements Israéliens poursuivent une politique destinée à renvoyer le maximum de Palestiniens et refaire une Nakba supplémentaire en obligeant les Habitants de gaza de migrer en Egypte (un plan secret concocté par les services secrets validé par les journalistes de Haaretz) https://www.instagram.com/p/CzCVLjNLZF5/?igshid=MTc4MmM1YmI2Ng==). Du coup, on comprend mieux, l’insistance d’Israël à conseiller aux citoyens de Gaza de migrer vers le sud puis vers l’Égypte dès que cela sera possible. On va se retrouver avec un autre camp de réfugiés et abcès de fixation en Égypte après le Liban et la Jordanie (depuis 1948) avec les problèmes qui en découlent.
Et les juifs de France ? être solidaire de la politique Israélienne qu’elle que soit ses agissements est une grave erreur. De la même façon que nous protesterions si la France faisait une intervention de type de Gaza dans un autre pays, je vois mal pourquoi nous devons tout accepter d’Israël. Cela nous fait objectivement paraître comme totalement inféodés à Israël avec comme conséquence l’importation ici du problème et l’aggravation de l’antisémitisme. Loin de moi de croire que l’antisémitisme millénaire n’est dû qu’au problème de la Palestine, il existera même si ce problème est résolu. Israël devrait agir avec les forces progressistes arabes plutôt que s’entendre comme larrons en foire avec tous les tyrans du monde y compris les plus antisémites pourvu qu’ils défendent sa politique et servent ses intérêts -voir le beau texte d’un philosophe Franco-Israélien https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/02/ivan-segre-l-avenir-d-israel-repose-sur-une-alliance-avec-les-forces-progressistes-arabes_6197821_3232.html?lmd_medium=al&lmd_campaign=envoye-par-appli&lmd_creation=android&lmd_source=default
De la même façon, la population juive de France devrait comprendre qu’il n’est pas sain et contraire à l’histoire de se rapprocher de l’extrême droite –le RN, Marechal, Zemmour et compagnie. Le texte de l’écrivaine Libanaise Dominique Eddé sur la guerre Israël-Hamas est un résumé qu’il est difficile de contester
Israël ne représente pas l’ensemble de la Judéité, les juifs de la diaspora ont apporté beaucoup au monde dans les arts, sciences et culture, la liste serait top longue à énumérer. Contrairement aux affirmations des politiciens de droite mais aussi à des journalistes plutôt sérieux d’habitude comme Carolyn Fourest ou Raphaël Einthoven, les membres de LFI et ceux qui critiquent Israël ne sont pas des terroristes, ils tiennent compte de la colonisation, même s’il eut fallu un peu plus de discernement comme le souligne d’ailleurs un des leurs (Ruffin). L’islamophobie maladive de certains les amène à prendre une attitude guerrière entérinant tout ce que fait Israël pour se défendre. Cette attitude est dangereuse, elle n’est basée sur aucun raisonnement sérieux et ne contribue en rien à une possible solution. On peut comprendre que les personnes qui vivent en Israël aient des positions extrémistes et revanchardes étant donné leurs souffrances, mais nous sommes en droit de demander un peu plus de retenue et de réflexion, quand on est à des milliers de km. La distance donne une sérénité qui devrait permettre de réfléchir aussi sur la suite.
En résumé, c’est précisément parce que nous aimons Israël, et que nous sommes fiers de certaines de ses réalisations que nous estimons qu’en poursuivant une politique agressive de colonisation et de terreur, le pays va à sa perte. Israël ne pourra pas indéfiniment exister que par la force de son armée, faut relire la bible « ce n’est pas par la force mais par mon Esprit que tu vaincras a dit l’éternel des armées (Zacharie 4 :6) » ! A ce rythme ; se produira immanquablement une lutte entre deux messianismes d’un autre âge- le musulman et le juif. Cela se traduira par des guerres incessantes. Israël ne devra son existence que sur sa force armée avec à terme une théocratie à l’Iranienne et surtout un danger que la force change de camps. La politique guerrière ne mène nulle part à long terme, il va bien falloir discuter entre les ennemis comme dans toute guerre.
Cet article a été préalablement publié sur mon Blog Médiapart le 2 novembre 2023 : https://blogs.mediapart.fr/ben-arineurochlorefr/blog/021123/israel-palestine-un-conflit-mine-ou-quand-la-passion-remplace-la-reflexion