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Pourquoi avons-nous échoué dans le développement de nouvelles approches thérapeutiques pour les troubles du développement du cerveau ?
par Yehezkel Ben-Ari
L’intérêt grandissant du public pour l’autisme a conduit à la mise en place de plans gouvernementaux successifs dans le but de comprendre et de traiter cette maladie et de prodiguer de meilleurs soins aux enfants souffrant d’un trouble du spectre autistique (TSA). Pourtant, ces plans n’ont pas marché ou ont eu un impact limité (tout du moins dans le domaine des sciences élémentaires dont il est question ci-dessous). Vous trouverez ci-dessous les raisons de ces échecs.
Les accomplissements extraordinaires de ces dernières décennies sur les plans génétique et moléculaire nous ont permis de collecter massivement des données, d’identifier de nouvelles mutations et d’observer une cascade de diverses réactions intracellulaires qui jouent un rôle présumé dans la pathogenèse des troubles du développement du cerveau. Pourtant, hormis cela, il n’existe pas de nouveaux traitements pour les troubles du spectre autistique (TSA), le syndrome de Rett, les épilepsies d’origine développementale ou pour la multitude de maladies génétiques ou maladies liées aux facteurs environnementaux responsables de troubles infantiles et de séquelles à vie.
Il existe trois causes principales :
i) D’un trouble génétique ou environnemental intra-utérin peut survenir des conséquences développementales et c’est ce trouble, plutôt que cette cause, qui est responsable de la maladie. En effet, Ben-Ari et Spitzer (2010) ont suggéré que l’activité neuronale et les programmes génétiques fonctionnaient en série, la première validant la mise en œuvre correcte des derniers. Des écarts de développement de courants ioniques ou de modèles de réseau produits par une mutation génétique et/ou un facteur environnemental in utero conduit au maintien de courants immatures dans le système nerveux mature (y compris le GABA excitateur). D’après les concepts de la « neuro-archéologie » (Ben- Ari, 2008), les neurones défectueux, au mauvais endroit ou déconnectés génèrent des courants immatures dans le cerveau de l’adulte qui perturbent le fonctionnement des réseaux cérébraux caractérisant les signes pré-symptomatiques architecturaux ou électriques du trouble. Ce concept a été démontré dans de nombreuses maladies génétiques telles que le syndrome du double-cortex ainsi que les maladies associées aux troubles convulsifs ou aux troubles mentaux (Ackman et al., 2009). Ainsi, l’identification de ces caractéristiques immatures (principalement des courants) offre la meilleure approche pour développer de nouveaux médicaments qui agiront sur les « traits pathologiques immatures » de la maladie en ignorant les neurones fonctionnant normalement.
ii) Le manque de recherches non-génétiques
Le monopole de l’approche génomique a alimenté la plupart des fonds et des efforts dans le but d’identifier de nouvelles mutations et de cascades intracellulaires empêchant les recherches électro- physiologiques, morphologiques et biochimiques sur un cerveau pathogénique. Ceci est frappant plus particulièrement pour le développement intra-utérin ou post-natal précoce qui a été littéralement ignoré dans la plupart des recherches jusqu’à présent. Les études conduites dans le but de comprendre un TSA ou le syndrome de Rett ou le syndrome de l’X fragile sont menées exclusivement sur les cerveaux des adultes ou des adolescents bien qu’il a été prouvé que le trouble commence à se développer in utero ou à la naissance. Les troubles survenus intra-utérus ou au moment de l’accouchement (par exemple un accouchement prématuré et des inflammations in utero) sont ignorés par les sciences fondamentales qui se dédient à la compréhension et au traitement des TSA et troubles associés.
iii) Séparation artificielle entre les sciences fondamentales et la recherche translationnelle
Le développement de nouveaux médicaments peut seulement résulter de la connaissance approfondie du fonctionnement des réseaux cérébraux et des neurones lorsqu’ils sont sains ou pathogènes. Les sciences appliquées n’existent pas, on applique les principes des sciences fondamentales. Ces deux approches sont totalement convergentes et doivent être conduites simultanément et de façon rapprochée. Il est crucial que ceux qui cherchent à comprendre et à guérir des maladies restent proches de ceux qui cherchent à comprendre le fonctionnement normal. La compréhension du fonctionnement normal leur permet de comprendre comment est survenu le processus pathogénique et comment le contrer.
En résumé, il est vital de ne pas seulement concentrer nos efforts sur la recherche génétique visant à trouver de nouvelles mutations mais aussi sur une approche physiologique basée sur la vie intra-utérine et l’accouchement de façon à voir comment le cerveau évolue lorsqu’il est sain et pathogène. Cela inclue : imagerie, recherche de réseaux, utilisation de souris génétiquement modifiées pour marquer les neurones et cartographier le cerveau dans sa totalité au stade précoce de la maladie et lorsqu’il est sain.
Les troubles du spectre autistique (TSA) et le syndrome de l’X fragile sont des troubles du développement du cerveau qui se manifestent par des conséquences phénotypiques variables incluant mauvaise communication, interactions sociales aberrantes, agitations, etc. (Levy, Mandell & Schultz, 2009; Fountain, Winter & Bearman, 2012; Abrahams & Geschwind, 2008; Betancur, 2011). On pense qu’environ 1 enfant sur 100 montre des signes et des symptômes de TSA (Fombonne, Quirke & Hagen, 2009; Weintraub, 2011), probabilité plus importante que le risque de cancer infantile ou de diabète de l’enfant réunis. Les troubles génétiques les plus similaires documentés sont la sclérose tubéreuse, le syndrome de Rett, le syndrome de l’X fragile et le syndrome de Prader-Willi (SPW). Tous ces troubles sont associés à des caractéristiques autistiques (Khwaja & Sahin, 2011 ; Neul et al., 2010) et la grossesse et/ou à l’accouchement. Le syndrome de Down est aujourd’hui à inclure car de récentes observations ont montré des mécanismes communs et de possibles nouveaux traitements. À ce jour, il n’existe aucun traitement approuvé par la FDA ou l’EMA pour aucune de ces maladies. Des études expérimentales ont été conduites de façon à étendre notre champ de recherche à l’échelle génétique, moléculaire, cellulaire, synaptique, et au niveau des circuits locaux, des circuits, des systèmes et du comportement (Bourgeron,
2009; Schmeisser et al., 2012; Spooren, Lindemann, Ghosh & Santarelli, 2012).
Troubles génétiques
La sclérose tubéreuse est due à des mutations principales au niveau des gènes suppresseurs de tumeur TSC1 ou TSC2 caractérisées par la présence de malformations cérébrales, et de tubercules que l’on croit responsable de la génération d’une épilepsie pharmacorésistante ainsi que des symptômes autistiques et d’autres troubles neurologiques. Nous avons récemment découvert des caractéristiques aberrantes de courants N-méthyl-D-aspartate dans des échantillons animal et humain (Lozovaya et al., 2014). Le blocage sélectif de ces sous-unités aberrantes stoppe également les convulsions dans chacune des préparations.
Le syndrome de Rett (RTT) est un trouble du développement neurologique lié à une mutation du chromosome X touchant principalement les filles. Plus de 95 % des cas typiques de RTT sont liés à une mutation du gène codant la protéine méthyl-CpG (MecP2)(Amir et al., 1999). Les enfants atteints de RTT ont apparemment un développement psychomoteur précoce normal suivi par un développement stagnant et régressif après 6 mois accompagné de la perte de fonctions motrices et de troubles du langage ainsi que de l’acquisition de comportements de la main stéréotypés et répétitifs. Cependant, il est clair aujourd’hui que les processus développementaux sont liés à des manifestations cliniques précoces. En effet, le RTT est associé à une multitude d’autres manifestations pathogènes y compris : convulsions, dysfonctionnement respiratoire, troubles gastro-intestinaux, anxiété, troubles du sommeil, anomalies du système nerveux autonome (SNA), retard de croissance, troubles de l’humeur, scoliose, dystonie, et maladie de Parkinson menant à une dégénérescence psychomotrice progressive (Neul et al., 2010; Armstrong, 2005, Percy et al., 2010). Des études neuro-pathologiques ont révélé des cerveaux moins denses et des neurones plus petits mais aucune évidence de dégénération ou d’atrophie (Armstrong, 2005). Des études expérimentales renforcent l’idée d’une similarité entre le syndrome de Rett et la maladie de Parkinson au niveau des neurones striés.
Le syndrome de Prader-Willi (SPW) est une maladie génétique associée à une malnutrition à la naissance générée par des signaux d’ocytocine ainsi que des manifestations comportementales et métaboliques sous-jacentes et graves, y compris retard mental et autisme (Cassidy & Driscoll, 2008). Les souris porteuses de SPW sont mortes à la naissance à moins qu’elles n’aient été obligées de manger, mais une seule administration d’ocytocine a suffi à faire repartir leur cœur (Schaller, Watrin, Sturny, Massacrier, Szepetowski & Muscatelli, 2010). Des constats similaires ont été établis chez les bébés (Tauber et al., 2011).
Autres sources supplémentaires de pathologies notables qui sont également des enjeux majeurs de santé : accouchement prématuré, césarienne, complications durant l’accouchement et la naissance et troubles développementaux.
L’accouchement des mammifères est l’un des mécanismes biologiques les plus complexes et pourtant, les altérations de l’activité électrique qui s’effectuent durant ce processus n’ont toujours pas été explorées. L’émergence de la vie marine à la vie terrestre pour les mammifères a pris des millions d’années lors de l’évolution tandis qu’elle prend des heures pour le travail et l’accouchement en lui- même. Dans leur texte fondateur “The Stress of Being Born” (Lagercrantz & Slotkin, 1986), les auteurs mettent l’accent sur 4 transitions importantes qui ont lieu durant l’accouchement : le changement d’un environnement aqueux à un environnement sec et l’apport d’oxygène circulant à travers les poumons et non plus via le placenta, une diminution de la température, le passage d’un approvisionnement continue de nutriments à un approvisionnement temporaire, et le passage d’un environnement sans bactéries à un environnement néo-natal microbiote jouant un rôle important dans le système immunitaire qui se développe au cours de l’accouchement (Romero & Korzeniewski, 2013; Hsiao et al., 2013). Une série de mécanismes complexes et importants sont à l’origine de la limpidité du fluide des poumons du fœtus, du surfactant pulmonaire, et de la transition de la circulation fœtale à néo-natale, de la diminution de la résistance vasculaire pulmonaire et de la circulation pulmonaire. Le passage du fœtus par les voies génitales et la faible température extérieure libèrent une énorme quantité de norépinephrine et d’épinéphrine au bout de quelques minutes suivant l’accouchement et clampage du cordon, jusqu’à atteindre des proportions jamais atteintes même en conditions de stress intense (Faxelius, Hägnevik, Lagercrantz, Lundell & Irestedt, 1983; Lagercrantz & Bistoletti, 1977). Il est important de déterminer si ces processus altérés par des lésions intra-utérines sont à l’origine (et comment, le cas échéant) de l’autisme et autres troubles développementaux. Il est crucial de comparer les transformations s’opérant un peu avant et après la naissance chez l’humain en suivant les modèles des TSA et autres troubles.
La naissance est une période critique qui atténuent ou aggravent les lésions intra-utérines (Ben-Ari, 2015) et on pense que l’ocytocine joue un rôle important. Par conséquent, de faibles signaux en ocytocine sont associés à une mauvaise communication parent/enfant et chez les rongeurs, la disparition de signaux d’ocytocine est liée à des symptômes autistiques (Sala et al., 2013). L’incidence d’autisme est augmentée par les complications survenant lors de l’accouchement, l’hypertension, la , les événements anoxiques et l’accouchement prématuré (Johnson, Hollis, Kochhar, Hennessy, Wolke & Marlow, 2010; Glasson, Bower, Petterson, de Klerk, Chaney & Hallmayer, 2004; Gardener, Spiegelman & Buka, 2009). Des études épidémiologiques menées sur le lien qu’il existe entre l’autisme et les césariennes ont conduit à des résultats controversés car il faudrait plus prendre en compte les différents types de césariennes mais une récente méta-analyse a confirmé ce lien (Curran, O’Neill, Cryan, Kenny, Dinan, Kashan & Kearney, 2015). Chez les rongeurs, l’accouchement est associé à un pic d’ocytocine causé par une excitation puis une inhibition neuroceptive des récepteurs GABA – influencé par une diminution des ions chlorure intracellulaires (Tyzio et al., 2006). Les antagonistes des récepteurs de l’ocytocine annulent ce changement conduisant à synchronisation excessive et hyperactivité (Tyzio et al., 2006, Tyzio et al., 2014) à l’origine possible d’une communication sociale perturbée lors d’un moment important. Par conséquent, des activités aberrantes précoces et le manque de signaux d’ocytocine durant l’accouchement peuvent être à l’origine de séquelles délétères à long-terme. Étonnamment, à la fois chez l’animal à qui on a inoculé un TSA et une souris porteuse du syndrome de l’X fragile, l’administration par la mère d’un diurétique qui réduit les taux de chlorure intracellulaire tout en rétablissant l’inhibition des récepteurs GABAergiques durant ce moment crucial diminue également la gravité du TSA chez le fœtus, ce qui confirme l’importance de la phase de travail et de l’accouchement dans la pathogenèse d’un TSA (Tyzio et al., 2014; He, Nomura, Xu & Contractor, 2014). Conjointement, ces études soulignent l’importance de conduire de nouvelles études intra-utérines et post-natales pour déterminer les mécanismes développementaux sous-jacents à la pathogenèse d’un TSA.
Activation immunitaire maternelle (MIA)
Une dérégulation du système immunitaire a été largement observée chez les patients atteints d’un TSA (Hsiao et al., 2013; Onore, Careaga, & Ashwood, 2012; Hsiao, McBride, Chow, Mazmanian & Patterson, 2012; Shi, Smith, Malkova, Tse, Su & Patterson, 2009; Malkova, Yu, Hsiao, Moore & Patterson, 2012). De récentes études suggèrent que l’activation immunitaire maternelle (MIA) aurait une influence sur le microbiote et le système immunitaire du fœtus et que ces deux événements pathogènes perturbent la construction du néocortex, cause finale de cette maladie dans la mesure où la guérison de ces lésions restaure également la bonne organisation corticale et atténue la sévérité du syndrome (Kim et al., 2017; Choi et al., 2016; Shin Yim et al., 2017). Dû à ce chevauchement phénotypique, les TSA et autres troubles du développement sont potentiellement des maladies affectant l’intestin, le système immunitaire ainsi que le système nerveux, lié à ces derniers via des molécules impliquées dans l’inflammation.
Essais cliniques se basant sur ces observations
Si des neurones immatures sont présents chez les personnes atteintes d’un TSA et perturbent le bon fonctionnement des réseaux, alors les médicaments bloquant ces activités doivent avoir une sorte d’effet thérapeutique atténuant sélectivement ces caractéristiques. En effet, en se basant sur les concepts de la neuro-archéologie (Ben-Ari, 2008), nous avons testé l’efficacité clinique de la bumétanide, un médicament qui restaure l’inhibition GABAergique et qui a obtenu des résultats prometteurs au cours de 2 grandes études (Lemonnier et al., 2012; Lemonnier et al., 2017). Une dernière étude européenne de phase III débutera prochainement (incluant 400 enfants âgés de 2 à 18 ans). Des études ouvertes sur l’oculométrie et l’imagerie cérébrale ont confirmé l’amélioration du contact visuel grâce à la bumétanide (Hadjikhani et al., 2015; Hadjikhani et al., 2018).
En conclusion, ces observations soulignent conjointement la nécessité de conduire d’avantage d’études sur le développement intra-utérin, l’accouchement et la période post-natale précoce de façon à mieux comprendre la pathogenèse d’un TSA. Parallèlement, l’utilisation de médicaments capables de bloquer sélectivement des courants immatures pourraient être une nouvelle piste de traitement pour les TSA et les troubles du développement. Le but ici est de réduire, le plus tôt possible, les signaux perturbateurs, dans la mesure où nous savons qu’une intervention précoce est efficace puisqu’elle réduit les lésions induites par des événements pathogènes durant une période cruciale (Wallace & Rogers, 2010; Dawson et al., 2010).