Cela fait 3 décennies que l’on nous promet monts et merveilles et que bientôt toutes les maladies appartiendront au passé. L’immortalité était quasiment programmée (pour 2045) d’après Kurzweil, le gourou de Google ; la recherche cognitive de type non génétique était vieillotte et condamnée à végéter et être entretenue par des vieux dinosaures. Il est parfois assez rigolo de voir ce que sont devenues ces promesses. Ainsi, Francis Collins, grand manitou du National Institutes of Health, prédisait en 2000 “I would be willing to make a prediction that within 10 years, we will have the potential of offering any of you the opportunity to find out what particular genetic conditions you may be at increased risk for based on the discovery of genes involved in common illnesses like diabetes, hypertension, heart disease and so on” (Francis Collins, Press conference, NIH, June 2000). Il s’avère depuis que l’écrasante majorité de ces fléaux est due à l’environnement et notre façon de vivre, la génétique intervenant à moins de 1%. Ainsi, toute découverte basée sur l’information génétique va intéresser dans le meilleur des cas 1% des patients. De même, on a identifié des centaines de mutations possiblement impliquées dans l’autisme : in fine pour avoir un bon diagnostic, il faut regrouper des dizaines d’entre elles et on arrive à 10-15% des enfants ! On ne compte plus les promesses non tenues, comme pour la mucovisidose – une seule mutation donc facile à résoudre, sauf que 2000 modifications de cette mutation ont été identifiées et comme elles peuvent avoir lieu sur chaque allèle, on parle de 4 millions de possibilités ; qui dit mieux? Comme la réalité est têtue, on assiste alors à des retournements spectaculaires.
Ainsi, Laurent Alexandre, l’autoproclamé expert en tout ce qui touche aux technologies modernes et à la génétique et qui nous promettait l’immortalité pour demain dans les colonnes du Monde, grâce à un savant mélange indigeste de biotechnologies, génétique, informatique et big-data, a visiblement mangé son pain blanc. Dans son dernier éditorial au Monde, il décrète que « Winter is coming » et que rien ne marche plus dans cette roulotte de promesse à qui dit plus. Avec un culot qui forge l’admiration, il critique « les chercheurs qui ont fait des promesses insensées à leurs sponsors ». « Un hiver des biotechnologies est tout à fait possible. L’ingénierie du vivant – cellules souches, modifications génétiques, organes artificiels – est supposée pouvoir traiter les maladies dégénératives et accélérer le recul de la mort. Mais entre les fantasmes technologiques et la commercialisation d’un traitement bien évalué, il y a un immense fossé que certains chercheurs et les start-up ignorent ». Bravo l’artiste, qui disait exactement l’inverse il y a moins d’un an. L’astuce est bien connue, on survend des promesses (Ted talks, Tv, radio, etc) le temps de devenir un chouchou des médias ; puis on découvre la réalité et on brûle les veaux d’or que l’on a adorés.
Au-delà de la question de savoir pourquoi les médias s’adressent à des incompétents plutôt qu’inviter les chercheurs qui travaillent sur ces sujets, il reste le problème des implications politiques de cette fascination pour le tout génétique et Big Data. On n’insistera jamais assez sur les sommes énormes englouties par ces modes qui ne vont pas guérir grand-chose, car pour comprendre et traiter ces maladies et surtout les maladies cérébrales, il faut étudier les mécanismes de la maladie : comment se développe-t-elle ? quel est le rôle crucial des conditions de vie ? Malheureusement, ces questions ne seront pas posées car pas modernes et pas à la mode. Cette fascination pour le programmé rappelle furieusement le « il n y a pas d’alternative » de certains politiques et ce n’est pas tout à fait un hasard que le balancier des idées qui s’est orienté bien à droite questionne même la notion de races à partir d’arguments dont la nullité est frappante. Mais elle colle bien avec le menu politique du jour. Gramsci avait bien raison : on commence par dominer les idées avant de dominer tout court. On y vient.