Mettre en relation des problèmes essentiels qui semblent ne pas avoir de rapports, les présenter intelligemment et avec humour tout en se basant sur des exemples de la vie de tous les jours est un exercice que peu d’experts réussissent. Le livre de Pablo Jensen, physicien et sociologue, « Pourquoi la société ne se laisse pas mettre en équations » (Seuil – Science ouverte) constitue sans hésitation une exception. Mine de rien, on aborde des problèmes de science (Big Data et son inefficacité) ou de société (modélisation des individus et de la société). Ce qui est en jeu, c’est l’usage intelligent des abstractions ! Le fait que les physiciens ont pu modéliser avec succès les atomes et leurs composantes ne signifie pas que l’on puisse utiliser cette approche pour comprendre le comportement humain et sociétal. Vouloir rattacher ce qui concerne « l’espèce humaine considérée en masse à l’aide d’une approche statistique afin de fonder une mécanique sociale aussi rigoureuse que la mécanique céleste de Laplace capable de gouverner les masses humaines » est voué à l’échec pour quiconque a 2 neurones ! Et pourtant, on continue à se baser sur des modèles pour estimer les votes, l’économie, la santé et tout ce qui nous entoure. Les 2/3 des grossesses non désirées surviennent chez des femmes qui prennent la pilule pourtant sûre a 100% car les tests sont faits en laboratoire et non dans la vie courante avec des empêchements de nature diverse. Les économistes, alors là c’est un poème ! Toutes les estimations de la BPI, Total, BNP, FMI, état français, etc, sont invariablement fausses et trop optimistes ! Des chercheurs de l’université de Nice ont comparé les prédictions économiques et valeurs réelles depuis 1998 : les résultats sont édifiants, même à court terme. Les modèles sophistiqués font à peine mieux que la prévision simpliste selon laquelle l’année prochaine sera égale à celle constatée cette année ! Comme le disait le regretté Pierre Dax, le problème avec les prévisions, c’est que cela concerne le futur. Les scientifiques ne s’en sortent pas mieux avec la mode actuelle de tout modéliser et analyser à l’aune des Big Data et autres approches globalistes. On oublie le sens commun et la multitude de facteurs qui gouvernent nos comportements. Ainsi, quand Nature publie un article montrant que la myopie est fortement corrélée à l’éclairage des chambres des enfants pendant le sommeil, conclusion, faut éteindre ! Sauf que cette corrélation est accidentelle, car un autre article montre une relation forte entre la myopie des parents et des enfants et entre la myopie des parents et l’éclairage des chambres pendant la nuit (ils doivent pouvoir circuler) ! Autre exemple : Piaget demande à des enfants de choisir la file la plus longue en mettant des rangées de jetons (4 ou 5 plus serrés). Comme les enfants se trompent, il conclut qu’à cet âge ils ne savent pas compter. Sauf qu’un chercheur a refait la manip en mettant 4 ou 5 bonbons et là surprise, les enfants ne se trompent pas !
La vie sociale ne consiste pas en une suite d’interactions ponctuelles comme le suppose les simulations mais comme le résultat du déploiement des relations ; comme le dit si bien Andrew Abott, « nous sommes des personnes non parce que nous avons une boussole interne donnée par la biologie mais parce que nous nous renouvelons constamment en fonction des expériences et des connexions que nous avons créées ».
Références:
Pourquoi la société ne se laisse pas mettre en équations