ANR, tombola et roulette russe

L’Agence Nationale de la Recherche, créée à la suite du mouvement de révolte des directeurs de recherche scientifique, avait pour but initial de « financer et promouvoir le développement de recherches fondamentales, appliquées et finalisées, l’innovation et le transfert technologique et le partenariat entre secteur public et secteur privé ». Elle était censée être une structure souple qui finance des projets ambitieux en plus de ceux financés par les instituts.

La traduction par les politiques de ce programme a été différente.
Acte 1 : on crée une agence avec un budget conséquent dans le but d’inciter les « excellents » chercheurs à élaborer un programme et obtenir des financements supplémentaires par rapport aux instituts;
Acte 2 : on réduit progressivement les budgets des instituts (une baisse constante en budget réel de l’INSERM ou du CNRS par exemple);
Acte 3 : les réductions de dotations deviennent tellement importantes que tout le monde est obligé de passer par l’ANR pour survivre;
Acte 4 : on réduit les budgets ANR de façon très significative (environ 500M€ à comparer au milliard promis).
Résultat, on a pu asphyxier les équipes de recherche sans avoir tout le monde dans la rue : bravo l’artiste.

Dans ces conditions, l’évaluation des projets retenus s’apparente à une loterie. En 2015, plus de 10 000 pré-projets ont été déposés. Pour restreindre le financement à 10% de ces projets dans nombre de disciplines, il faut en éliminer la majorité dans une première phase à partir de critères qui ont peu avoir avec la qualité du projet. Nous avons droit à une notation à l’emporte-pièce, des remarques qui souvent frisent l’indécence par les jugements péremptoires et aucune critique constructive sur les moyens d’améliorer le projet. Il est probable qu’un cinquième voire un quart des projets soient virtuellement impossible à départager sur des critères de qualité. Sélectionner moins de 10% des projets est donc équivalent à une sélection aléatoire, qui aurait le mérite d’être transparente et de très faible coût.

De plus, étant obligé, pour survivre, d’espérer un financement ANR, les chercheurs passent une partie importante de leurs temps à écrire des projets plutôt que faire de la recherche. Bon nombre d’équipes de recherche n’ont plus un sou pour exercer leur métier. Cela se traduit par une grande frustration qui s’exprime trop souvent par des dépressions, des congés maladie, sans parler de ces jeunes chercheurs qui préfèrent s’expatrier malgré un poste permanent ! Situation ubuesque qui n’avait jamais eu lieu auparavant. A cela s’ajoute une bureaucratie qui augmente à mesure que les fonds distribués diminuent, comme s’il y avait un rapport inverse entre les sommes distribuées et la lourdeur administrative -lire sur ce sujet les livres d’Alain Supiot ou de Bernard Stiegler montrant combien cette situation inonde notre vie. En résumé, il n’est pas évident que l’utilisation de ce demi-milliard d’euros de l’ANR n’aurait pas été utilisé de façon plus efficace par les instituts de recherche.

On prétend copier le système anglo-saxon, en omettant de rappeler qu’aux USA les sommes en question sont autrement plus importantes, sans compter les dizaines de fondations caritatives privées dotées de sommes avec pas mal de zéros de plus que les françaises. Il nous a été dit et répété que la solution, c’est l’Europe. Mais les mêmes causes ayant les mêmes effets, le financement de la recherche en Europe est caractérisé par une programmation excessive, des évaluations souvent aberrantes, et une lourdeur administrative 28 fois pire que celle de la France. Les politiques, que leur réélection obsède, seront jugés sévèrement pour la destruction d’un outil qui faisait, il n’y a encore pas si longtemps, la fierté de notre pays et la jalousie des ses voisins. Fixer son regard sur le guidon ne permet de voir ni le paysage ni le futur.

 

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