Cancer: les statistiques hasardeuses !

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Tout le monde sait que l’on peut démontrer à peu près n’importe quoi avec des statistiques, comme par exemple la relation entre le battement des ailes d’un papillon et la fonte des neiges au pôle nord. Cela devient plus grave quand des scientifiques réputés sérieux publient dans deux revues « d’excellence » concurrentes, Nature et Science, des conclusions opposées à partir d’une même idée voire d’une analyse similaire : la fréquence des cancers serait liée au nombre de divisions cellulaires d’un organe plus qu’à des facteurs environnementaux exogène (virus, alcool ou agents chimiques mutagènes). Ce serait donc la faute a « pas de chances ».

La première étude, publiée dans la revue Science, montre que l’incidence des cancers est uniquement due au nombre de divisions cellulaires que les cellules d’un organe font au cours de la vie : plus ces cellules se divisent plus elles ont de chance (ou plutôt de malchance) de générer une mutation génétique cancérigène. L’environnement n’y est pour rien ni l’hérédité d’ailleurs. C’est dû à pas de chance ! Ainsi, les auteurs nous expliquent que les effets aléatoires associées à la division de l’ADN lors d’une division cellulaire peuvent être différenciés des causes dues à l’environnement ou à l’hérédité. Et ces facteurs, ajoutent nos experts, sont plus importants que les effets combinés des deux autres facteurs que sont les mutations génétiques et les agressions de l’environnement. On a donc trouvé la martingale qui permet de dissocier des évènements intrinsèquement  liés alors même que nous savons qu’un agent chimique peut causer une mutation qui elle va se manifester par un cancer.

Mais nos intrépides chercheurs ont trouvé la parade : il y a des cancers déterminés (dus au nombre de division cellulaires) et les facteurs environnementaux ne feraient qu’en augmenter l’incidence. Peu importe donc que le nombre réel de divisions cellulaires d’un organe ne soit pas connu, mais seulement estimé. Peu importe aussi que dans cette étude certains cancers notoirement associés à l’environnement (le cancer du sein par exemple) ne soient pas étudiés au profit d’autres, rarissimes et peu compris, comme le cancer du petit intestin.

Une pléthore de courrier au journal montre combien ces études sont remplies d’erreurs. Mais, dans ces journaux à grand tirage où les critiques ne sont accessibles qu’en ligne et peu couverte par presse, la publicité faite autour de cet article est la seule chose qui reste.

Par ailleurs, à partir des mêmes chiffres, l’autre étude publiée par le frère ennemi Nature arrive à des conclusions opposées n’accordant à l’effet « pas de chance » que 10 à 30%, le reste étant dû à des actions de l’environnement.  Hannun et ses collègues partent d’une approche qui s’accorde mieux avec ce que nous savons à savoir que les facteurs intrinsèques et les facteurs environnementaux peuvent converger au niveau de la division cellulaire et causer un cancer. Donc, oui la division est un moment propice pour générer une mutation cancérigène mais non les facteurs intrinsèques ne sont pas du tout seuls en cause.  Il n’en reste pas moins que cette simplification de problèmes complexes bien dans l’air du temps a pour principale conséquence de dédouaner le politique de ses responsabilités et de donner de l’importance au hasard. Dans ce cas un brin de modestie s’impose, mais ce n’est visiblement pas ce qui caractérise nos chercheurs intrépides.

Dans ce type d’études, on oublie tout simplement des observations connues, établies et de bon sens : un fumeur et un alcoolique ont plus de chances d’avoir un cancer ! On passe outre les données confirmées par des tonnes d’études expérimentales et épidémiologiques à savoir que le tabac, les pesticides et les agressions de l’environnent il y a des cancers qui sont caractère sexuel dépendants et d’autres qui sont restreints à certaines populations et qui ne sauraient être expliqués par le nombre de divisions d’organes. Ainsi, certains cancers de l’œsophage sont 100 fois plus fréquents dans certaines contrées chinoises que dans d’autres en Algérie. Une mutation génétique cancérigène est produite par des produits chimiques (tabac, pesticides etc.) des agents biologiques (virus, infections etc.) ou par des causes inconnues.  Ignorer la cause initiale revient à ne regarder, comme dans l’anecdote bien connue de celui qui cherche sa montre perdue, n’importe ou la ou il y a de la lumière.

La tendance big data et statistiques à tout vent qui ignore la biologie, la médecine et le sens commun est un mal fondamental de la science dite moderne. Ces approches ont pout but et conséquences principales de contester les approches destinées à réduire l’impact de facteurs de l’environnement et donc de la possibilité de changer leurs incidences par des interventions politiques. La faiblesse de concept abyssale de certaines recherches et l’incapacité de voir plus loin que les chiffres nous rappellent combien « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » comme dirait le grand François, ce médecin poète s’il vivait aujourd‘hui. On peut ne pas apprécier le « in God we trust » sans vouloir le remplacer par in « numbers we trust ».

Yehezkel Ben-Ari

Références :

Cristian Tomasetti and Bert Vogelstein. Variation in cancer risk among tissues can be explained by the number of stem cell divisions. Science. 02 Jan 2015: Vol. 347, Issue 6217, pp. 78-81

Wu S, Powers S, Zhu W, Hannun YA. Substantial contribution of extrinsic risk factors to cancer development. Nature. 2016 Jan 7;529(7584):43-7

 

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