Laurent Alexandre: l’arrogance de l’ignorance, le scientisme et la foi du charbonnier

I2MR Institut de Médecine Moléculaire de Rangueil
Extraction d’un fragment d’ADN d’un gel d’agarose. © Photo Inserm – Patrice Latron

Cet article a été publié pour la première fois le 27 janvier 2015 sur Mediapart

Laurent Alexandre est un chirurgien urologue qui a publié quelques articles sur les mécanismes de l’érection et de l’éjaculation et depuis est devenu président d’une entreprise de biotechnologie (DNA vision) une société qui séquence le génome en relation avec tout et rien.  Éditeur invité dans les suppléments du Monde, et invité dans les grands shows de « l’intelligence »  (USI 2014, Teds), il présente des shows brillants pour le néophyte avec une constance admirable dans la prophétie et une foi de charbonnier dans le futur et la génétique.  Bardé de diplômes (HEC, ENA, interne des hôpitaux de Paris etc), il considère qu’il est bien placé pour parler de n’importe quoi y compris –voire surtout-  quand il n’a aucune connaissance du sujet.

Dans une communication/show passionnant, notre auteur intrépide nous annonce l’immortalité pour après-après demain (http://www.tedxparis.com/talks/laurent-alexandre-le-recul-de-la-mort-vers-une-immortalite-a-breve-echeance/) . La courbe de recul de  la mortalité infantile qui croît de façon régulière ne va pas s’arrêter en si beau chemin, il n y a que les pessimistes pour ne pas réaliser l’immense potentialité de l’intelligence humaine pour prolonger à l’infini cette courbe. On sera immortel vers 2050 ! Le miracle se nomme NBIC (pour «  Nano-technologies, bio-technologies-informatique et cognitique »). Notre chercheur intrépide annonce fièrement que le cancer sera vaincu en 2030 car à ce moment les machines /ordinateurs marcheront à fond ? et l’Alzheimer suivra de peu.  Nostradamus peut aller se rhabiller et avec lui tout les prophètes qui nécessitent une connaissance en alchimie pour les comprendre et qui de surcroît sont vagues dans leurs prophéties

On reste confondu devant autant d’assertions superficielles, d’ignorance, de contres vérités, de données surgies dans l’esprit de notre intrépide investigateur. Il est vrai que l’espérance de vie s’est accrue, cela est du en partie au fait que nous nous sommes débarrassés pour l’instant des fléaux et épidémies qui depuis la nuit des temps ont sacrifié des populations entières. Il n’est pas excessif de penser que cela est du aussi aux meilleures conditions et d’hygiène de vie, au développement de la médecine, de la sécurité sociale, de l’amélioration de la qualité de vie. Cette vision réductionniste qui confond les analyses d’échelle, passe de la brique au bâtiment en considérant le tout comme un légo n’est basée sur rien de sérieux, la prophétie tenant lieu de vulgate scientifique. Elle néglige l’adaptation du système aux modifications, les différentes échelles qui chacune à sa capacité de réponse.

Dans un article (Le Monde 26 janvier 2014) intitulé « Allons nous devenir un jour débiles? »  Notre prophète décrète que les variantes génétiques délétères pour le cerveau sont apparues il y a quelques milliers d’années et leur taux augmentent handicapant notre futur et notamment nos capacités intellectuelles.  La sélection darwinienne n’opère plus  car nous avons adouci la rigueur de la sélection  en nous organisant en société humaine solidaire – « la mortalité infantile s’est effondrée  et beaucoup d’enfants survivent alors que dans le modèle Darwinien ils étaient condamnés ». Fort heureusement, la technologie va nous sauver ! Il ne s’agit ni de la médecine ni de la culture « mais du séquençage révolutionnaire de l’ADN du futur bébé qui va étendre le champ de l’eugénisme  avec le dépistage précoce» et « la thérapie génique qui va  corriger les mutations qui menacent notre fonctionnement cérébral »

Passons sur l’eugénisme placé au centre de la médecine et sur les similitudes avec des thèses qui rappellent  celles des nazis  et autres apôtres de la race pure. Rappelons simplement qu’il n’y a pas de gènes de l’intelligence (ou de la « débilité »), tous les essais de définir des fonctions complexes par un gène ne tiennent sur rien et ont été infirmées.  Demain, comme aujourd’hui, des facteurs ringards comme  la culture, l’éducation et la société continueront à jouer un rôle majeur.  La néoténie- cette propriété qui nous fait naître immatures – nous donne une grande malléabilité et permet à l’environnement et l’éducation de jouer un rôle crucial dans notre formation. Les études expérimentales en neurosciences ont montré que l’environnement module le développement cérébral, la construction des cartes corticales étant fortement dépendante des informations qu’elles reçoivent in utéro. Gènes et environnement opèrent en série et le résultat n’est pas la conséquence d’un programme génétique automatique. Deux mutations identiques peuvent aboutir à des maladies différentes voire à aucune comme le montre encore une étude récente montrant les limites de l’apport de la génétique dans le domaine de l’autisme que l’on persiste à décrire comme une maladie « génétique » (Ryan K C U_Yuen et al Nature Medicine janvier 2014). De plus, ces maladies naissent souvent in utéro modifiant la construction du cerveau et c’est cette modification –pas la mutation- qui est la cause du syndrome rendant inopérant la correction du gène muté. Les maladies neurologiques et psychiatriques  sont dues à des mécanismes combinant des centaines de mutations et des facteurs environnementaux rendant plus qu’improbable la thérapie génique et d’ailleurs il n y aucun essai thérapeutique basé sur la thérapie génique dans ces maladies et notre prophète intrépide est bien seul à y croire. Les seules avancées thérapeutiques résultent d’une meilleure compréhension du développement du cerveau. Libre à P Alexandre de croire aux bébés Nobel, à l’eugénisme, aux merveilles de l’approche réductionniste, il faudra s’y faire,  l’environnement, la société, la « politique » comme l’éducation continueront à contredire les apprentis sorciers qui méconnaissent justement notre intelligence.

Faut il rappeler qu’un enfant sur 6 nait aujourd’hui avec une maladies développementale cérébrale,  1 sur 8 a un déficit d’attention et 1 sur 80 des troubles du spectre autistique.  La croissance de cette incidence qui est bien plus élevée qu’il a 2 générations ne saurait s’expliquer ni par une mutation spontanée génétique qui se stabiliserait dans la population (ni par un meilleur diagnostique). Faut il rappeler qu’une mutation génétique sporadique nécessite au moins 20 génération pour s’engamer dans le génome des descendants. La seule explication qui est admise aujourd’hui implique les pollutions et la toxicité qui s’accroît depuis la révolution industrielle. Pour les génétomaniaques et les adeptes du tout génétique, je recommande ce blog de John Clees –du groupe des Monty Pytons.

Dans un article plus récent (Le Monde du 14 janvier 2015) intitulé « L’intelligence artificielle va tuer l’argent », Mr Alexandre a trouvé la solution qui va tuer le capitalisme et établir l’égalité et l’entente universelle (sic). En effet, selon l’ingénieur en chef de Google, une « Intelligence Artificielle (IA), un milliard de fois plus puissante que l’ensemble des cerveaux réunis devrait écraser l’intelligence humaine en 2045 ».! Du coup, « IA va entraîner la disparition de l’argent et des écarts de revenus de 1 à 1000 comme à présent…le système de méritocratie va partir en fumée : comment organiser la répartition des capitaux si le mérite est impossible ? Un communisme 2.0 ou chacun recevra selon ses besoins et non selon son travail ». Notre urologue décrète avec assurance que « le neurone n’a pas évolué au cours des 500Millions d’années alors que le transistor lui… ». Notre expert n’a du jamais voir un neurone, ou se pencher un peu sur l’évolution.  Il n y a peu près rien à voir entre un neurone de mollusque –qui n’a ni dendrites ni arborisation – et un neurone humain avec ces 10000 entrées synaptiques. Rien à voir entre les réseaux de ver de terre, de grenouille et de singe ou d’homme. Des fonctions qui sont remplies par quelques neurones dans le premier mais impliquent des millions de neurones dans le dernier. On est confondu devant autant d’ignorance, de méconnaissance de la société et de mépris envers une bonne partie de la population. Les pauvres voire la classe moyenne – ceux qui n’ont pas de Rolex ?- sont stupides ; il faut juste accroître leurs capacités intellectuelles. Les riches eux qu’ils soient spéculateurs, voyous, dictateurs  ou monomaniaques capables juste de faire des sous sont hyper intelligents. Les luttes pour le pouvoir, les oppressions ou la lutte des classes vont disparaître dès que tout le monde aura le cerveau d’Einstein (au moins).

La question peut être la plus passionnante est pourquoi l’époque se prête à ce genre de salmigondis. Comment se fait-il que des scientifiques souvent médiocres en cherche se retrouvent au devant des médias?  Il y a quelque chose de rassurant dans la génétique et qui dédouane nos politiques qui du coup ne sont plus responsables de leurs actions.

http://www.npr.org/blogs/krulwich/2013/04/04/176258637/monty-pythons-john-cleese-almost-explains-our-brains

 https://www.youtube.com/watch?v=-M-vnmejwXo

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