Alain Fischer a résumé les maux de la recherche française avec un diagnostic partagé par la plupart des experts depuis longtemps. En complément, nous voudrions apporter quelques analyses qui assombrissent encore le tableau et suggèrent les erreurs à ne pas commettre pour ne pas tuer notre système fragilisé. Ces éléments raisonnent à la fois avec la vision positive par le grand public de la recherche, et la peur suscitée par l’extraordinaire développement des technologies, sans parler des fake news qui les remplacent.
Une crise de vocations : la perte de jeunes chercheurs s’engageant en recherche en France comme ailleurs est dû à la volonté de la jeune génération d’avoir plus de temps libre. Or la recherche notamment en France exige un véritable sacerdoce -frugal de surcroît ! Le jeune chercheur doit passer une thèse souvent financée au smic, 1/2/3 stages post doctoraux dans un pays étranger (les US essentiellement) et un possible retour en France souvent pour un CDD (22% des chercheurs des EPSTs hors doctorants sont en cdd) & un salaire qui ne correspond pas à celui d’un bac +12-15 ans. Les partisans de « l’excellence » considèrent que les postes permanents sont inadaptés pour une recherche de qualité. Reste que cela réduit les vocations, favorise le « brain drain » US (ou les financements hors projets sont plus riches et plus nombreuses) se traduit par quelques équipes bien dotées entourées d’un désert composé d’équipes qui n’arrivent pas à financer leurs travaux.
Le miroir déformant des chiffres : Évaluer une « production » scientifique à l’aune du nombre de publications – 19,3%, 28,1% des publications mondiales pour l’Europe et les US respectivement- est notoirement insuffisant. Il convient de tenir compte de l’extraordinaire différence de budgets, des fondations caritatives ultra riches, des dons des milliardaires rare chez nous (excepté quelques exemples comme la fondation Bettencourt -budget annuel de 800M€). Il y a l’attractivité des US : 50% des Nobels US n’y sont pas nés ayant fait leurs carrières ailleurs. Mettre en avant les revues « d‘excellence » Nature, Science, Lancet, NEJM etc. comme but ultime de la qualité en science est discutable ! A côté des bons travaux qui y sont publiés, il y a les nombreux travaux oubliés après 3-4 ans et les publications non-reproductibles et rétractées. Une revue de spécialité -le « Cancer journal for clinicians» -a un impact facteur 4 et 5 fois supérieur que Nature et Lancet. Donner autant de pouvoir à ces revues contribue à la stagnation de l’innovation et sous-estime l’impact négatifs de ces revues qui ont entrainé des équipes dans un cul de sac thérapeutique (cf la fascination de la génétique), asséché des domaines en privilégiant les « modes » du moment, sans parler des sujets discutables sur le plan éthique : cf « les bons et les mauvais gènes expliquant tout ou quasiment avec des théories racialistes » cf l’article de Stéphane Foucart sur (20/01// 23). Elles génèrent de surcroit un cercle vicieux : financement généreux cumulant ERC+ANRS & fondations (qui ont les mêmes gold standard) suivi d’une stagnation des heureux gagnants qui ne vont pas quitter la formule gagnante ! De plus, les découvertes de rupture n’y sont pas souvent publiées. Nombreux sont les prix Nobels dont les publications originales innovantes ont été publiées dans des revues de spécialité (cf. H Alter, Houghton et Rice Nobel 2020 pour leurs travaux sur les cancers notamment du foie) ! Car le nœud du problème est la chute drastique des découvertes révolutionnaires de rupture (78-91% cf David Larousserie- Le Monde 11/01/2023).
Sortir des clous et des modes- En effet, si on veut « jouer en première division » il faut prendre des risques et une nouvelle vision notamment pour développer de nouveaux traitements. Les États-Unis lancent une agence dédiée à l’innovation biomédicale de rupture (DARPA-H https://www.nih.gov/arpa-h) massivement dotée, avec des financements rapides & importants attribués à des chercheurs visionnaires capables de dépasser les frontières entre disciplines pour apporter notamment un traitement à des maladies incurables. Une rotation dynamique empêche la stagnation des idées. La réponse Européenne va-t-elle être réellement agile et « rupturiste » ? Il faudrait sélectionner quelques domaines de santé publique et financer généreusement pour de courtes périodes (5 ans) des petites équipes pilotées par un chercheur (e) confirmé (e) & passionné (e) proposant une hypothèse séduisante & risquée, accompagné des compétences requises à la réalisation du projet (provenant de Startups, CHUs etc.).
Le virus des réformes ! Une énième restructuration de la recherche est en route en France pour transférer des prérogatives des organismes de recherche vers les grandes universités créant de nouvelles agences de programmation. Une probable nouvelle complexification technocratique qui masque l’absence de moyens et signe l’incapacité politique à innover et simplifier l’organisation de la recherche biomédicale. Copier le modèle US avec ses 20 grandes universités dotés de plusieurs milliards se traduirait par la création de 3-4 Universités bien dotées entourées d’un désert alors que nous avons besoin d’une plus grande répartition qui fasse masse facilitant l’émergence d’esprits innovants. Copier le modèle américain sans les moyens ne fait pas sens.
La valorisation des travaux académiques est source d’innovation et de réduction du chômage de post doctorants (environ 9%). La multiplication des agences de valorisation (1 pour chaque université, EPST, Région etc.) qui n’apportent aucune aide (juridique, en propriété intellectuelle etc.) mais exigent un % élevé de droits sur succès à venir handicape la levée de fonds auprès des investisseurs ! Le Crédit Impôts Recherche (CIR) avec ses 7-8MD€ est souvent décrié à juste titre à cause d’une évaluation parfois succincte et le financement de grandes entreprises qui font peu ou pas de recherche. En le limitant aux petites startups innovantes, le couple CIR/aide BPI est pourtant un acteur incontournable de l’innovation et de la proximité recherche académique et appliquée et le recrutement de jeunes post doctorants et techniciens.
En conclusion, plutôt que poursuivre le même chemin avec des moyens plus importants, il convient de proposer un autre modèle d’évaluation et de financement. Celle-ci doit inclure une innovation biomédicale vraiment nouvelle, fondamentale et appliquée au lit du patient, génératrice de valeur industrielle et de changements significatifs pour la société. Cela est une tache possible au niveau d’un pays qui n’a pas pour ambition de faire aussi généraliste que les US. Cela nécessite d’une part plus de financements récurrents pour des équipes ayant fait leurs preuves et attire des jeunes chercheurs et de l’autre une rupture technocratique pour des chercheurs confirmés qui veulent prendre des risques dans certains domaines sélectionnés.